Rencontre avec Tanguy Descamps

05/04/2022 | à la une, articles, culture, planète, société

Face à la gravité des crises écologiques et l’accroissement des inégalités, de jeunes citoyens se lèvent. Trente d’entre eux, âgés de 18 à 33 ans, racontent l’histoire de leur bascule. Du lycée à l’agroécologie, des études supérieures aux grèves pour le climat, de Polytechnique aux tiny houses, de la banque aux actions de désobéissance civile, on découvre les prises de conscience, les doutes et les rêves d’une génération happée par les bouleversements du monde et confrontée aux limites planètaires.

Rencontre avec Tanguy Descamps, à quelques jours de la soirée de lancement du livre Basculons dans un monde vivable, aux éditions Actes Sud.

© Basculons

Peut-on agir pour le changement sans changer radicalement de vie ?

Les changements de vie seront radicaux parce que la situation l’exige. La question est : souhaite-t-on s’engager dès maintenant dans une bascule, ou choisissons-nous de la subir dans l’impréparation ? Même si nous poursuivons dans le business as usual, la physique et les dynamiques du vivant nous ramèneront vite à la matérialité de notre monde et aux limites planétaires. On le voit déjà avec l’extinction des espèces, qui modifie l’équilibre des écosystèmes dont nous dépendons, l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, qui altèrent les réserves en eau et les rendements agricoles, ou la raréfaction des ressources, qui fait trembler les chaînes d’approvisionnement mondialisées dont dépendent tous nos systèmes de consommation.

On peut agir pour le changement en tant qu’individu, c’est un premier pas nécessaire ! Mais il faut désormais s’engager en tant que citoyens car les problèmes auxquels nous faisons face sont structurels et politiques. Avoir le courage de regarder la vérité en face et agir collectivement là où nous nous trouvons, avec ambition et joie, me semble le chemin le plus raisonnable.

Un conseil pour ceux qui souhaitent basculer mais ont peur de sauter le pas ?

Un seul conseil…
Entourez-vous ! Le partage est le terreau de l’engagement… lucide et joyeux !
Informez-vous ! Les rapports scientifiques et l’actualité vous rappelleront que l’engagement pour un monde vivable est le plus raisonnable.
Engagez-vous là où vous vous sentez bien ! L’action pour l’écologie touchant tous les pans de nos vies, vous avez forcément une passion ou une compétence à mettre à contribution.

Et toi, comment as-tu basculé ? 

À la fin des mes études à Sciences Po Bordeaux, j’ai appréhendé l’écologie par le prisme de la RSE, puis par le biais des énergies renouvelables. Je pensais que ces dernières allaient nous sauver et j’ai écrit un mémoire à ce sujet. La lecture du livre-enquête « La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique », de Guillaume Pitron, a remis en cause cette croyance molle et a fait figure de véritable déclic en février 2018. J’ai compris qu’une croissance économique infinie – au sens du PIB – est impossible dans un monde aux ressources finies. S’en est suivi une boulimie de lectures et de visionnage de conférences : Jean-Marc Jancovici, Delphine Batho, Gaël Giraud, Aurélien Barrau, Philippe Bihouix, rapports du Giec et de l’Ipbes, etc. J’ai pris une grande claque et ressenti un vertige assez éprouvant. A l’heure de chercher un stage de fin d’études, je ne savais plus quoi faire. J’ai passé cinq mois en Mongolie à l’Ambassade de France, témoin des désastres du charbon et des effets déjà prégnant du changement climatique. 

Au même moment, plusieurs évènements retenaient mon attention : l’appel de Greta Thunberg, le Manifeste pour un réveil écologique et l’émergence des grèves pour le climat d’une part ; les évènements climatiques extrêmes de l’été 2018 et la démission de Nicolas Hulot d’autre part. Perdu dans ma recherche d’emploi, je ressentais le besoin de m’entourer de semblables pour sortir de mon parcours relativement solitaire de prise de conscience. Alors que je terminais mon stage, j’ai entendu parler du lancement de La Bascule par une vingtaine d’étudiants. J’ai rejoins cette aventure en Centre-Bretagne et tout s’est enclenché, dans l’action. Depuis cette année 2019, j’ai essayé différentes formes d’engagement : l’organisation d’évènements, le wwoofing, l’éducation alimentaire en communauté de communes, la coordination de Basculons ! Aujourd’hui, je suis convaincu que la bataille culturelle a un rôle à jouer dans la bascule de la société, en parallèle des initiatives concrètes et viables, notamment liées à la transformation de notre système alimentaire. Je suis également animateur de la Fresque du Climat. 

D’où t’es venue cette idée de livre ?

L’idée de ce livre nous est venue, avec Maxime, en août 2019. Nous étions alors engagés au sein du mouvement La Bascule depuis six mois. Cette aventure, dont le but était de créer un lobby citoyen et d’accélérer des projets de transition écologique, sociale et démocratique, nous a permis de rencontrer d’autres jeunes, qui partageaient la même prise de conscience et la même envie d’agir face à l’urgence écologique. Nous avons alors pensé qu’il fallait raconter leurs histoires : par quels doutes sont-ils passés ? Quels changements ont-ils opérés dans leur vie et dans leurs relations à leurs amis et parents ? Comment ont-ils trouvé l’énergie de s’engager ?

Pendant deux ans, nous avons récolté leurs témoignages. Puis nous les avons fait lire à des acteurs des transitions, plus âgés, des défricheurs de l’écologie. Ceux-ci ont à leur tour écrit des textes dans lesquels ils portent leur regard sur cette « Génération Bascule » et la mettent en miroir de leurs propres engagements.

Les intentions de ce livre sont donc multiples : participer à la bataille culturelle en rendant visibles les bascules de ces jeunes, donner confiance à celles et ceux qui hésiteraient à basculer à leur tour vers des métiers et engagements écologiques, mais aussi favoriser le dialogue et une action inter-générationnelle à la hauteur des enjeux, dans un univers médiatique qui a tendance à accentuer la fracture entre « Boomers » et « Génération Climat ».

Qui sont les contributeurs ? Comment les as-tu choisis ?

Les contributeurs sont d’une part trente jeunes de 18 à 35 ans, rencontrés au sein de l’écosystème des mouvements écologistes. La plupart d’entre eux ont fait des études (commerce, ingénieur, sciences politiques) et ont décidé de ne pas suivre la voie toute tracée. Ils s’engagent dans le milieu associatif, en entreprise, en administration, en politique ou encore dans des éco-lieux ou des fermes agro-écologiques. Leurs stratégies sont diverses mais la vision reste celle d’un nécessaire changement structurel de nos modes de fonctionnement économiques et de nos relations aux autres vivants. 

D’autre part, se sont des acteurs et actrices des transitions de plus de 35 ans, engagés depuis longtemps sur les questions écologiques. Ces défricheurs de l’écologie sont journalistes (Juliette Nouel, Hélène Binet, Laure Noualhat), ingénieurs (Hélène Le Teno), entrepreneurs (Maxime de Rostolan, Jean-Marc Gancille, Cédric Ringenbach), députés (Delphine Batho, Damien Carême), agronomes (Marc Dufumier), activistes (Jon Palais), responsables RSE (Fabrice Bonnifet). Nous les avons également rencontrés dans le cadre de nos engagements. Souvent, ce sont des personnes qui nous ont inspirées à travers des livres (Pablo Servigne, Jean-Pierre Goux), des documentaires (Pascale d’Erm) ou des conférences (Arthur Keller, Dominique Bourg). Si les jeunes en sont à ce niveau d’engagement, c’est en partie grâce à eux !

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