Rencontre avec Lamine Badian Kouyaté, fondateur de la marque XULY.Bët

24/06/2022 | à la une, articles, culture, société, top recettes

Cet été Ground Control a imaginé une saison autour des cultures afro de Paris et d’ailleurs. Ground Africa prend place de juin à octobre sur la terrasse avec quelques-uns des restaurants les plus inspirants du moment et en fil rouge de la programmation. Le week-end du 10 au 12 juin a marqué le lancement de la saison avec showcases, DJ sets, ateliers, tables rondes et un marché de créateurs.

Lamine Badian Kouyaté, fondateur de la marque XULY.Bët, y est intervenu sur une table-ronde consacrée aux icônes de la scène culturelle afro-parisienne. Fondée en 1989, XULY.Bët défend une mode durable et inclusive en mettant en lumière ses inspirations africaines.

© Ismaël Moumin

Vous avez été l’un des premiers à Paris à faire de l’upcyling en mettant en avant vos inspirations africaines à travers vos créations. Quel regard portez-vous sur la scène afro-parisienne dans la mode aujourd’hui ?

Il est vrai qu’aujourd’hui il y a une audience pour toutes ces minorités, ces créateurs africains. Pourtant il n’y a toujours pas assez d’espace pour leur offrir des débouchés. Il y a une espèce de pensée unique dans la mode qui en fait une sorte de forteresse impossible d’accès, surtout à Paris. Faire les magasins permet facilement de s’en rendre compte, on ne trouve rien d’africain, cela reste cantonné au marketing, aux produits cosmétiques. Or il y a toujours eu des créateurs afro sur la scène parisienne. Dès les années 80, avant que je fonde XULY.Bët, ils étaient déjà nombreux et très talentueux, je pourrais t’en citer des tonnes ! Ce que je vois en revanche c’est que déjà à l’époque on ne leur donnait pas de réelle visibilité, et quarante ans plus tard le problème persiste encore. Ce qui se passe en réalité est que tous ces jeunes créateurs se réorganisent désormais pour contourner le système. Ils profitent d’opportunités qui leurs sont accessibles, comme les réseaux sociaux et la vente à distance, pour se rendre visibles.

Vous avez fondé XULY.Bët il y a plus de 30 ans et votre marque conserve encore aujourd’hui une place importante dans l’industrie de la mode. Quelles  évolutions de la marque lui ont permis d’entretenir son succès ?

La clé selon moi c’est l’attachement à la culture de la jeunesse, c’est un peu la fondation de la dynamique humaine… Les révolutions viennent souvent de la jeunesse !

Il faut être à l’affût de ses préoccupations, de ses angoisses et de ses espoirs, être à l’écoute de ses idées pour avancer dans ce monde, car quand on arrive à un certain âge c’est souvent le conservatisme qui prend le dessus sur les idées.

En France on n’a pas tellement cette culture de la jeunesse, à l’inverse des pays anglo-saxons où on lui accorde plus de place et d’importance. Cela s’illustre par le fait que la jeunesse française est plus réprimée que les jeunesses anglo-saxonnes, notamment sur le sujet des violences policières. Personnellement quand j’étais jeune je me faisais contrôler toutes les cinq minutes, car quand tu es jeune tu es nécessairement suspect.

Avec XULY.Bët j’ai eu cette envie d’offrir un espace de liberté qui manque à cette jeunesse, de répondre aux aspirations légitimes auxquelles elle prétend, même si je n’ai pas non plus la prétention d’apporter une solution à toutes leurs préoccupations évidemment.

Le vêtement, même s’il peut paraître futile, a une véritable utilité. Fabriquer des vêtements peut et doit être une démarche ancrée dans un propos. Par exemple, travailler à partir de stocks déjà utilisés, de seconde main, est aujourd’hui une nécessité absolue quand on voit les tonnes de vêtements jetés à la poubelle : il faut sortir de la culture du consommable et du jetable.

De quelle manière l’engagement de vos parents et votre héritage culturel vous ont influencé dans votre travail ?

Une grande qualité de mes parents était leur ténacité, qui leur a donné la force de porter pendant des années de courageux combats en Afrique.

Mes parents ont toujours été très engagés pour l’émancipation africaine, en allant parfois à l’encontre des cultures traditionnelles, comme ce fût le cas avec les mutilations génitales par exemple, tradition séculaire contre laquelle ils se sont levés.

Ils se sont aussi engagés dès les années 1960 dans la lutte pour émanciper l’Afrique de la domination coloniale, dont ils ont eux-mêmes subi les violences.

Ils étaient alors confrontés à une double adversité : d’un côté sortir de l’inertie de problématiques qui sont dommageables dans les cultures traditionnelles, et d’un autre côté s’émanciper de la violence néocoloniale.

Tenir debout malgré l’adversité ce n’était pas simple. De ce fait, avoir vu en tant qu’enfant mes parents tenir debout contre tant d’épreuves m’a ouvert des perspectives.

Cela m’a enseigné qu’il est important de revenir aux aspirations humaines profondes : l’aspiration à la liberté et à une plus grande conscience notamment.

Il faut libérer la parole, les énergies, amener les gens à travailler ensemble à l’inverse de cette relation de domination à sens unique que l’on nous impose comme modèle. Il y a clairement dans mon travail une dimension politique en écho à cette volonté.

Et pour ramener le sujet au secteur textile, il faut aussi repenser les approches dans cette industrie. On est aujourd’hui dans une problématique de survie. L’urgence écologique est là mais il y a des tas de solutions à trouver. 

Moi j’essaie de faire des vêtements qui fassent du bien, et ma manière de faire ces vêtements est un véritable engagement.

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