4 questions pour demain avec Patrick VIVERET #philosophie

17/02/2021 | 4 questions pour demain S3, culture, planète, société, vidéos

Comment présenter Patrick Viveret en quelques lignes tant son parcours est immense ?

Journaliste, philosophe, expert comptable devenu altermondialiste, fondateur de la monnaie alternative SOL, il est aussi le cofondateur des rencontres internationales « Dialogues en humanité » et de l’Archipel Ecosolidaire. Depuis longtemps déjà, il défend les notions de sobriété heureuse comme avenir souhaitable (et nous proposait de réfléchir au Produit intérieur doux en 2008), la joie de vivre comme acte de résistance et l’épanouissement personnel comme indissociable du bien-être social. Il nous invite à grandir en humanité et à accepter la métamorphose à l’œuvre pour changer de modèle de société. Son dernier ouvrage, Le Choix des sobriétés préfacé par Pablo Servigne (Ed de l’Atelier) est un ouvrage collectif d’idées pour passer à l’action. Invité de la dernière édition du festival Climax qui devait se tenir en septembre 2020 à Bordeaux et que le COVID a stoppé dans son élan, il a répondu aux 4 questions pour demain que nous lui avons posées. 

La meilleure façon de se reconnecter au vivant en nous, c’est à travers l’expérience de la joie de vivre.

 

1. Qu’est-ce que le terme « Régénérations » signifie pour vous ?

Le terme de “régénérations”, il est très fort puisqu’il est construit sur la notion qui renvoie à la vie elle même, puisque là, ce qui est de l’ordre de la génération, c’est de l’ordre de la vie, et nous sommes effectivement rentrés dans un moment de l’histoire, de l’humanité, où les logiques contraires à la vie, donc des logiques mortifères, sont aujourd’hui très importantes. Sous des formes différentes évidemment, sous une forme écologique avec des destructions massives de nos écosystèmes vitaux tels que le climat, la biodiversité, mais aussi sur le plan de régressions sociales, sur les atteintes aux droits humains et à la démocratie avec la montée de régimes autoritaires, voire néo totalitaire, je pense aussi à la Chine de ce point de vue là. Et donc l’appel à un renouveau des forces de vie, ce qui est pour moi le sens même de la notion de “Régénérations”, est d’autant plus essentiel. Mais il ne s’agit pas simplement d’un retour, il s’agit aussi, autre terme qui me convient bien et qu’utilise souvent Edgar Morin, d’une véritable métamorphose. Parce que l’humanité est confrontée au risque de sa propre disparition, elle a à faire l’équivalent de ce que fait un individu quand il se pose la question de ce qui est essentiel dans sa vie et de ce qu’il veut transmettre, et en général il se pose ce type de questions quand il est aussi confronté à la question de sa propre finitude, de sa propre mort.

C’est la même chose pour l’humanité. L’humanité est un travail sur elle-même, elle peut se perdre, elle a même l’embarras du choix dans la manière de se perdre en détruisant ses écosystèmes vitaux, en se détruisant elle-même. La question des armes de destruction massive est, par exemple, trop peu présente aujourd’hui dans le débat public, notamment la forme accidentelle, tout à fait envisageable d’un hiver nucléaire mais aussi ce qu’on peut appeler une fatigue d’humanité. Et bien, sortir de cette logique mortifère, c’est à la fois faire appel aux forces de vie, à la régénération mais c’est aussi cette métamorphose qui, après la longue histoire biologique de l’hominisation, nous fait entrer dans l’histoire politique et culturelle de l’humanisation, de la pleine humanité, de la pleine conscience et cela suppose à ce moment là d’aller vers, pour de bon, un homo sapiens sapiens. Parce que, comme le dit également Edgar Morin, nous sommes plus un homo sapiens demens et, notre folie notre démesure, est à la racine de notre destruction, de notre rapport à la nature, mais aussi entre êtres humains et il nous faut aller vers à la fois une intelligence contributrice et créatrice, le premier sapiens, mais aussi au sapiens de la sagesse au sapiens de l’intelligence du coeur.

Et c’est en opérant cette métamorphose vers une pleine humanisation que nous pouvons, non seulement répondre aux défis colossaux qui sont devant nous mais aussi faire un saut qualitatif dans l’histoire même de notre peuple, de la terre, de notre humanité.

2. Comment se reconnecter au Vivant ?

Je trouve que la meilleure façon de se reconnecter au vivant en nous, c’est à travers l’expérience de la “joie de vivre”, en donnant à ce terme de “joie de vivre” sa pleine force, sa pleine intensité qui est beaucoup plus importante et beaucoup plus profonde que la simple excitation. Parce que on peut ressentir une intensité de vie éphémère à travers l’excitation, l’excitation du pouvoir, l’excitation de l’argent, l’excitation de la gloire, l’excitation de la séduction, mais cette excitation est éphémère et elle peut s’exercer aussi au détriment d’autrui alors que l’expérience de la joie est une expérience qui va être beaucoup plus profonde, beaucoup plus durable puisque la joie n’est pas dans un rapport entre l’excitation éphémère et puis la frustration et la dépression qui souvent la poursuit elle est dans le couple intensité-sérénité. C’est à dire, je peux me sentir pleinement vivant dans le rapport à la beauté, dans le rapport à l’amour, dans le rapport à la recherche de compréhension de l’univers, mais cette intensité là parce qu’elle ne me déséquilibre pas, elle peut s’accompagner du sentiment de sérénité. C’est ce qu’un philosophe comme Spinoza définit justement comme étant l’alternative entre l’expérience de la joie face à ce qu’il appelle les passions tristes. Et bien, quand on s’est reconnecté en profondeur à cette joie de vivre, et on le fait très simplement par exemple dans des réunions publiques en demandant à un couple de se reconnecter à des souvenirs de bien vivre, et qu’on leur demande ensuite une fois qu’ils ont établi cette reconnexion, y compris sensible et émotionnelle, de se poser la question “Qu’en est-il de mon rapport aux autres, qu’en est-il de mon rapport à la nature ? qu’en est-il de mon rapport au temps ?”. A ce moment-là, on découvre que quand on vit ce type d’expérience et bien par exemple notre rapport aux autres n’est pas un rapport de rivalité, notre rapport à la nature n’est pas un rapport de prédation, et notre rapport au temps n’est pas un rapport déséquilibré.

Nous sommes complètement dans le vécu présent, nous sommes à la bonne heure. Et donc quand nous connectons,_ et tout être humain a eu au moins une fois dans sa vie, des expériences de bien vivre sur le plan personnel et sur le plan collectif _ quand on a fait cette expérience là, on comprend qu’on peut être complètement dans l’intensité de vie sans que celle-ci ne nous déséquilibre et ni  nous conduise à la rivalité ou à la prédation. Et à ce moment là, cette expérience est féconde, elle est rayonnante, non seulement pour nous à titre personnel mais aussi elle devient le socle d’un projet de bien vivre collectif. C’est tout l’enjeu du buen vivir, c’est aussi la raison pour laquelle par exemple j’appartiens à un réseau qui s’appelle l’Archipel Citoyens – Osons les Jours Heureux, c’est à dire qu’ils considèrent que la question clé à laquelle nous sommes confrontés c’est la question de l’alternative au mal être, au mal de vivre et à la maltraitance. Que ce soit sur le plan écologique, dans nos rapports de prédation à la nature, qui sont le résultat d’une situation de mal être et de maltraitance, ou, que ce soit dans le rapport aux autres êtres humains. Voilà une des manières privilégiées qui me permet de me sentir intensément vivant.

3. Quelles actions concrètes sont aujourd’hui absolument prioritaires selon vous ?

Si on regarde du côté des actions et des solutions prioritaires, encore que le terme de solution me convient peu parce qu’il peut donner l’impression qu’il y aurait en quelque sorte des baguettes magiques, or c’est pas de l’ordre de la baguette magique puisqu’il s’agit de vivre pleinement, intensément notre voyage de vie consciente, notre voyage d’humanité. Donc tout ce qui concourt à aller vers cette qualité d’intensité de vie et du même coup à résister à ce qui est le contraire de cette intensité de vie, c’est-à-dire aux formes de logique mortifère qu’on retrouve sur le plan écologique, sur le plan social, sur le plan des rapports hommes-femmes, etc… Tout ceci participe effectivement d’une capacité de pleine vie, de pleine humanité, c’est aussi ce que dans des réseaux de l’économie sociale et solidaire on appelle la stratégie du REV. C’est-à-dire allier le “R” de la résistance, une résistance pleinement créatrice, le “V” de la vision transformatrices qui ouvre l’imaginaire, qui nous fait sortir de l’état de sidération, et le “E” de l’expérimentation anticipatrice qui fait qu’effectivement nous allons vivre au présent ce que nous réclamons par ailleurs et qui va permettre que notre résistance soit une résistance créatrice et non pas une révolte désespérée.

4. À votre échelle individuelle, qu’allez-vous faire ?

Personnellement, je suis très sensible à cette phrase de sagesse qui remontent très très loin puisque c’est celle de Marc Aurèle, qui nous dit la nécessité d’avoir le courage de transformer ce qui est à notre portée, la sagesse d’accepter ce qui est hors de notre capacité de transformation, et le discernement qui nous permet justement de faire la différence entre les deux situations. C’est vrai sur le plan personnel, c’est la question de la sagesse mais pas d’une sagesse ascétique c’est d’une sagesse qui entend pleinement que le mot sagesse a la même origine sémantique que le mot saveur donc c’est une dégustation de la vie, la sagesse, mais ce qui est vrai, de l’ordre de la transformation personnelle, est à mon avis de plus en plus essentiel dans la transformation proprement sociétale et même politique, c’est un projet anthro-politique. Et par conséquent à chaque fois que nous nous reconnectons, ce que j’essaie de faire personnellement, à cette capacité de sagesse, à cette capacité de discernement, et bien je peux à la fois accepter de lâcher prise, accepter de ne pas être dans une espèce de course effrénée à la maîtrise qui est de toute façon hors de mes moyens, et pour autant de repérer ce qui va être de l’ordre de la transformation possible, effective, à laquelle je peut concourir. A ce moment là, je participe de ce que le Forum Social Mondial de Porto Alegre avait appelé l’axe TPTS, TPTS voulant dire que Transformation Personnelle et Transformations Sociales vont de pair et c’est aussi la raison pour laquelle, outre mon travail personnel sur l’intensité de vie, je participe à des initiatives, soit sur le plan local, sur le plan national, sur le plan européen, mais aussi sur le plan mondial, qui participent justement de cette logique d’alliance entre transformations personnelles et transformations sociétales.

Quel est votre rêve pour le monde ?

Mon rêve pour le monde c’est celui de devenir pleinement humain. C’est celui de la pleine humanité. Ca n’est pas de rêver d’une post-humanité ou d’une humanité qui se débarrasserait de toutes ses contraintes, de toutes ses difficultés, de tous ses défauts. Ce que souvent sur un mode humoristique on appelle le PFH, le Putain de Facteur Humain, c’est à la fois accepter pleinement notre part d’ombre, mais faire servir cette part d’ombre au service du 2ème PFH qui est le Précieux Facteur Humain, les formidables potentialités créatrices que recèle l’humanité aussi bien sur le plan personnel que sur le plan collectif. Participer à cette aventure collective passionnante de la pleine vie, de la pleine humanité, c’est un rêve mais qui n’est pas un rêve de l’ordre de l’inaccessible, c’est un rêve que nous pouvons en permanence mettre en oeuvre dans notre propre vie personnelle et collective.

Propos recueillis le 19/09/2020.

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