4 questions pour demain avec Fanny Giansetto #alimentation

06/04/2020 | 4 questions pour demain S1, culture, vidéos, vidéos à la une

Fanny GIANSETTO est la fondatrice de Ecotable, label et association au service de l’alimentation durable. Elle est aussi juriste et enseignante-chercheuse en droit.

 

“L‘un des enseignements les plus positifs de cette crise c’est que en matière alimentaire, le circuit court est en fait ce qui fonctionne le mieux.

1. Que nous enseigne la crise actuelle ?

Pour moi la crise actuelle est en réalité une critique assez importante du néolibéralisme et de la mondialisation, en tout cas non contrôlés. Cette crise nous montre notamment les limites du libre échange et de la délocalisation qu’on a eu tendance à pratiquer, ces dernières décennies, à outrance. On se rend compte que, quand les frontières se ferment, on n’a plus de masques, on n’a plus de tests. Heureusement, on est quand même resté un pays agricole, donc on a encore de quoi se nourrir. 

Il y a donc deux enseignements majeurs pour moi.  Une critique très importante du libre échange absolu d’une part et d’autre part, sur la question alimentaire, ce que la crise met en avant c’est que l’agriculture paysanne reste très résiliente.  On peut encore se faire livrer par les producteurs du coin, on a des initiatives qui sont mises en place pour soutenir cette agriculture paysanne alors que les grandes interfaces, comme le marché de Rungis, périclitent au contraire en en ce moment. 

Autre élément très intéressant il me semble, c’est que l’on se rend compte à quel point les services publics sont  essentiels. Dans la santé bien sûr mais aussi l’éducation, les transports, la police, on se rend compte que les personnes qui travaillent dans ces services publics n’ont pas été valorisées dans leur travail depuis longtemps. Probablement qu’il aurait fallu, depuis plusieurs décennies déjà, revaloriser ces métiers et investir dans ces secteurs qui sont cruciaux en cas de crise. 

La France je pense ne s’en sort en fait pas si mal mais si l’on compare avec les autres États, ceux qui ont le moins investi dans les services et structures publics sont ceux qui payent le plus lourd tribut à la crise.

2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?

Elle peut permettre de redécouvrir le rôle de l’État providence qui prend soin de ses structures publiques et de ses fonctionnaires. Les soignants en première ligne mais aussi les enseignants qui continuent à travailler à distance, la police qui est sur le terrain pour faire des contrôles, etc. Je rappelle juste que, en comparaison et c’est toujours quelque chose qui m’a beaucoup marqué,  quelqu’un qui fait de l’audit financier est aujourd’hui bien mieux payé qu’un professeur de fac qui a fait dix ans d’études et qui a passé plusieurs concours et quand je dis bien mieux payés c’est je pense trois à quatre fois mieux payé. Je ne parle même pas des médecins ou des infirmières qui touchent pas beaucoup plus qu’un smic. 

Dans un autre domaine j’ai l’impression que cette crise peut permettre aussi de nous faire réfléchir à ce dont nous avons besoin réellement pour vivre. Pour moi, on vit un peu une décroissance accélérée. Alors certes le risque c’est d’avoir derrière une croissance effrénée mais déjà cela nous fait réfléchir. L’ironie de l’histoire ici c’est que nous on est confiné chez nous mais qu’on voit que dehors la biodiversité bénéficie énormément de ce retrait de l’humain. On voit les poissons revenir à Venise, on entend les oiseaux chanter en ville, la pollution se réduit, donc le gros challenge ici ça va être le retour à la normale. L’après crise. A mon avis, il faudra à tout prix éviter une dérégulation pour relancer la croissance. Le risque va être que l’écologie passe au second plan alors qu’elle devrait précisément être au premier. Je crois que la Chine a mis en pause les quelques lois qu’elle avait fait passer en matière de protection environnementale post crise pour relancer la croissance. Il faut absolument éviter ça. Il faut l’éviter parce que cette crise est une première et que de très nombreuses crises peuvent arriver, avec des nouvelles maladies, qui vont ressurgir du fait de la fonte du permafrost, ou des maladies tropicales qui vont venir dans les pays occidentaux, etc.  

Donc ce qui peut changer, je l’espère même si je ne suis pas très optimiste, c’est une remise en question du modèle de surconsommation et du modèle néolibéral. 

3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?

Question très difficile en effet, très difficile parce que je pense qu’on n’est pas du tout tous dans la même situation. Il y a des personnes qui continuent à travailler de façon acharnée, tous les fonctionnaires qui sont en première ligne, donc je pense que eux ils ne peuvent pas préparer un retour à la normale, ils n’ont pas le temps.

En revanche pour ceux qui ont le temps de réfléchir à ces questions-là, en effet ça peut être le moment de faire le tri entre ce dont on a vraiment besoin et le reste.

Le confinement nous oblige à passer du temps en famille, avec nos proches pour qui on s’inquiète, on est, je pense, nombreux à être constamment sur les réseaux sociaux, à s’interroger sur comment ils vont.  Donc pour préparer le retour à la normale, peut-être faut-il juste réfléchir à, demain, quand je serai déconfiné, est-ce que la première chose que je ferai c’est aller dans un supermarché et consommer de manière effrénée ou pas ? Peut-être que je vais continuer à avoir une vie un peu moins dépensière sur ces questions-là. 

D’un point de vue professionnel, peut-être est-ce aussi l’occasion, pour les entrepreneurs qui ne sont pas trop dans le jus notamment, de réfléchir à un autre modèle que le modèle productiviste, de réfléchir à une activité dont le profit n’est pas le seul objectif mais de réfléchir justement aux activités qui servent la société. J’ai  l’impression qu’il y a énormément d’entrepreneurs qui au regard de la crise se sont dit “bon qu’est ce que je peux faire concrètement là ? Je n’ai plus de boulot qu’est-ce que je peux faire pour aider?”. Et je trouve que c’est quelque chose d’ultra stimulant. J’espère que ça va servir ensuite après la sortie de crise.

4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?

Je dirais plutôt à l’échelle d’Ecotable.  Dès l’annonce de la fermeture des restaurants, on a contacté l’ensemble de nos restaurants du réseau Ecotable, déjà pour leur adresser notre soutien, et ensuite pour mettre en place des pistes de réflexion sur quoi faire pendant la crise. De ces échanges sont nées deux initiatives.  

L’une visant à livrer les soignants dans les hôpitaux parisiens. On s’est rendu compte, parce qu’on avait chacun des soignants dans notre entourage, que soit certaines cantines ne fonctionnaient pas, ou fonctionnaient moins bien parce que certaines personnes avaient fait valoir leur droit de retrait, soit que tout simplement ces soignants étaient tellement dans le jus qu’ils n’avaient même pas le temps d’aller se poser pour manger.  Donc une des premières initiatives qui est sortie ça a été d’essayer de livrer des repas sains, revigorants, à ces soignants. Et on a décidé, pour ses repas, de soutenir l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. C’est à dire que l’on ne va pas demander aux producteurs de nous donner leur production, mais on va les payer convenablement, et du coup leur offrir des débouchés alors que pour certains ces débouchés s’étaient un peu réduits avec la fermeture des restaurants. 

La deuxième initiative qui est née a été évidemment de nourrir les personnes en difficulté et notamment les sans abris. Dans ce cadre on s’est naturellement rapprochés des associations qui oeuvrent déjà en la matière, Yes we camp ou Ernest, et contrairement à l’initiative soignants, ici c’est essentiellement des dons alimentaires qui sont cuisinés puis redistribués. 

A côté de cela, on continue notre mission de communication et d’information via Ecotable. Avec le podcast “Sur le grill” d’Ecotable on a publié des contenus spécial confinement et dans le nouveaux épisodes, enregistrés à distance, on va essayer de s’interroger sur les conséquences de la crise.  

On travaille également à la mise en avant des circuits alternatifs. Je l’ai dit tout à l’heure, l’un des enseignements les plus positifs de cette crise c’est que en matière alimentaire, le circuit court est en fait ce qui fonctionne le mieux. Quand on ne peut plus aller chercher en Espagne, en Italie, voire même beaucoup plus loin, les produits, on se rend compte que, en France, juste à côté de chez soi, on a des produits formidables. On peut aller soutenir directement ces producteurs qui continuent à travailler de façon acharnée. Valoriser auprès de tous, ces circuits courts, alternatifs, c’est ce que nous essayons justement de faire.

 

Propos recueillis le 06/04/2020

Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …

“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.

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