4 questions pour demain avec Antoine Pecqueur #culture

31/03/2020 | 4 questions pour demain S1, culture, société, vidéos

Antoine PECQUEUR est musicien et journaliste, spécialisé dans l’économie de la culture (RFI, France musique, Mediapart, …), rédacteur en chef de La Lettre du musicien/ Ouvrage à paraître le 16 septembre 2020 L’Atlas de la culture aux éditions Autrement.

“La question écologique va être centrale mais l’autre question ça va être la question culturelle. Si on ne peut plus penser la croissance, la relance économique comme par le passé, il faut aller sur d’autres terrains et le terrain culturel c’est celui qui va permettre justement une autre relance, la relance des esprits.”

 

1. Que nous enseigne la crise actuelle ?

La crise actuelle, cette crise sanitaire mondiale sans précédent, révèle beaucoup de choses sur différents aspects.
Je pense déjà un aspect géopolitique puisque ce n’est sans doute pas un hasard si Donald Trump parle, non pas du coronavirus, ni du Covid-19, mais du “Chinese virus” c’est à dire du virus chinois. On savait la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, on est évidemment dans ce contexte géopolitique de rapports entre les puissances qui est très important parce qu’il ne faut pas oublier qu’en l’espace d’une vingtaine d’années, les guerres, au sens classique, ont diminué de moitié mais les conflits existent toujours.
Il y a le terrorisme, il ya les guerres commerciales, on en parlait, et maintenant il y a cette échelle sanitaire. Alors c’est bien sûr, dans ce contexte-là, de tensions géopolitiques que s’inscrit également le Covid-19.

Ensuite, il y a le plan purement politique et la nature des régimes. C’est très intéressant de remarquer que les mêmes qui dénonçaient le régime dictatorial chinois défendent et mettent en avant aujourd’hui la capacité qu’a eue la Chine à réfréner le virus.
C’est aller un petit peu vite en besogne à mon sens parce qu’il faut bien rappeler que les premiers cas à Wuhan, cette région de la Chine, ont eu lieu en novembre 2019. Ils ont été étouffés par le gouvernement chinois à l’époque. Avec notamment, on le sait, le cas de ce médecin qui a été arrêtée et qui était, d’une certaine façon, un lanceur d’alerte.
C’est très important de le souligner parce que si la Chine n’avait pas été une dictature à ce moment-là et qu’elle avait pris les devants, on ne serait peut-être pas dans cet état-là.
Ensuite, oui la Chine est allée jusqu’à emmurer des résidences, faire en sorte que les gens ne sortent pas pour éviter la propagation du virus et elle l’a fait de manière dictatoriale. On peut souligner que ça a permis d’éviter une propagation du virus mais au départ ce virus est aussi né dans un contexte de dictature et avec un lanceur d’alerte qui est décédé. Il ne faut vraiment pas oublier ça.
D’un côté on a donc ces régimes dictatoriaux et puis de l’autre on a ces pays qui dépendent des politiques libérales, ultralibérales, c’est le cas notamment des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne. Que ce soit avec Donald Trump ou Boris Johnson on est face à des gens qui mettent l’économie en premier et les questions sanitaires et sociales au second plan. C’est à dire que d’une certaine façon, on accepte qu’une partie de la population meure du moment que l’économie, qui va bien sûr connaître un ralentissement net mondial, ne soit pas complètement à l’arrêt. On voit bien là les dérives de ces politiques ultra libérales qui peuvent même s’accompagner d’un mysticisme idéologique avec des évangélistes comme dans le Brésil de Jaïr Bolsonaro.

Et puis la France là dedans a une position un petit peu ambivalente puisque, on l’a vu dans les déclarations du président Emmanuel Macron, la question économique est première mais la question sanitaire l’est tout autant. Une sorte “d’en même temps” qui peut, peut-être, montrer aussi ses limites. En tout cas on s’interroge, quand le principe même de gouverner, c’est prévoir, et que le président Emmanuel Macron dit que dans l’après crise il faudra redonner des moyens à l’hôpital public. Peut-être aurait-il fallu en donner avant pour éviter justement l’état actuel des choses, le manque en équipement médical et ainsi de suite.

Pour moi la grande inquiétude qui va arriver dans les prochains jours, les prochaines semaines, ça va bien sûr être quand cette épidémie qui se propage dans le monde entier va arriver en Afrique. Le continent africain est évidemment dans un sous-équipement médical criant et cette crise arrive au moment où justement l’Afrique est en train de se relever, d’émerger dans un grand nombre de secteurs. Ce serait donc terrible si cette crise sanitaire mettait à l’arrêt ce continent. Je le rappelle, en 2100, 40% de la population mondiale sera africaine donc il faut vraiment penser aux pays africains actuellement.

2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?

Ce serait rassurant si ça pouvait faire changer beaucoup de choses. Une fois de plus je le rappelle le président Emmanuel Macron dans l’une de ses déclarations, a dit que cette crise amènerait à un changement, que l’on ne pourrait plus faire comme avant.  

Alors ce changement de paradigme il va se faire dans quel sens ? Parce que c’est là toute la question.  Soit, et on serait évidemment rassurés et très heureux de se dire que cette crise permettra de repenser les choses, notamment d’un point de vue écologique. Parce qu’elle pourrait être, et l’économiste Thomas Piketty l’a très bien dit, une forme de répétition générale avant des catastrophes encore plus grandes notamment du fait du changement climatique. Et sur ce plan les résultats du premier tour des élections municipales ont montré que le parti qui a remporté un grand nombre de victoires dans ce premier tour c’est le parti écologiste dans un grand nombre de villes.  On pense bien sûr à Strasbourg, on pense à Grenoble, on pense à Lyon et même à Paris où évidemment on sait que le souci environnemental était présent dans la candidature d’Anne Hidalgo au-delà de la candidature de David Belliard.

Une chose est sûre, il y a ce souci maintenant dans un grand nombre de villes, dans une grande partie de la population, des questions environnementales. Cette crise sanitaire montre que maintenant il est urgent d’aller sur ce terrain donc on pourrait se dire le changement de paradigme il va se faire dans ce sens là. Mais est-ce qu’il ne pourrait pas aussi se faire dans l’autre sens ? C’est à dire accentuer encore plus un libéralisme qui devra être le moteur d’une relance ? Courir après une perpétuelle croissance. C’est un vaste débat en tout cas on peut s’interroger sur le fait, pour certains, de vouloir relancer la machine, avec un temps de travail qui augmente, avec un désir de relance à tout prix. Il faut bien  se rappeler que quand il y a eu la crise de 2008 bien sûr c’était une crise très différente la crise des subprimes mais elle aurait pu permettre d’espérer un grand changement de paradigme dans un grand nombre de domaines. Force est de constater que, dans les années qui ont suivi, le système a repris d’une manière peu ou prou équivalente.

Donc on le voit il faut toujours se méfier, en tout cas c’est très dur de prophétiser en tant que journaliste. Moi je commente le réel donc c’est très dur de penser évidemment de manière plus prospective mais je dirais que il peut y avoir matière à espérer. Et que peut-être qu’entre d’un côté les tendances dictatoriales et de l’autre les régimes ultra libéraux, cette crise sanitaire peut nous montrer qu’il faut plus que jamais une troisième voie qui soit ni l’une ni l’autre et qui permette notamment de mettre les questions environnementales au premier plan.

3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?

La gestion de l’après crise va être très compliquée notamment du fait de la propagation de ce virus à travers le monde on l’a dit, mais dans un espace temps différent.  Donc ça va être très dur d’harmoniser les choses, de reprendre alors que le virus sera peut-être en train de faire des catastrophes en Afrique ou en Amérique Latine. L’Europe sera en train de se relever comme aujourd’hui la Chine est en train de se relever. Donc il va y avoir ce décalage à gérer qui est très compliqué notamment dans un contexte de mondialisation et bien sûr plus que jamais peut-être donner envie de s’attaquer au local.

En tout cas je pense qu’il va falloir jouer de prudence et améliorer la communication.  On a eu un exemple quand même d’une communication gouvernementale plus qu’hasardeuse en début de crise. Les paroles mêmes des scientifiques dans ce qui a précédé la crise du moins dans son volet européen étaient  très contradictoires et donc ont généré un écho médiatique contradictoire. Il faut se rappeler que quelques jours avant le début du confinement, le Journal du Dimanche titrait en dessous de la photo d’Emmanuel Macron “En fait-il trop ?” à propos du Covid-19 ou encore Le Monde, dans un édito, comparait le virus à la grippe en disant que c’était un peu dommage de faire autant de choses alors que finalement pour la grippe on en fait beaucoup moins. Dans la Voix du Nord, l’un des chefs de service du CHU de Lille qui disait  “c’est un virus médiatique”. Or on voit bien qu’aujourd’hui il n’est pas que médiatique ce virus. Effectivement il y a une difficulté, des contradictions scientifiques qui ont fait que la communication gouvernementale, l’exécutif ne parlait pas d’une même voix.  Donc tout ça c’est des leçons à prendre pour gérer la sortie de crise.

Il va falloir être extrêmement prudent aussi concernant les rassemblements.  On voit déjà des festivals qui s’annulent. Il y a eu plusieurs nouvelles importantes comme le Festival de Cannes qui a été annulé. Or que faire pour les festivals d’été ? On sait que l’été c’est le grand moment des festivals et la question culturelle est centrale aussi dans cette crise sanitaire. Le Festival de Verbier qui est l’un des plus grands festivals de musique classique en Europe vient d’annoncer son annulation alors qu’il devait se dérouler de mi juillet à début août dans les Alpes Suisses tandis que le festival d’Avignon a affirmé pour l’instant qu’il allait se tenir donc il va falloir harmoniser les choses parce que ça va être très dur sinon de comprendre quel sens donner à des événements qui d’un côté sont annulés,  de l’autre pas.

Bien sûr il y a un impact économique derrière mais je pense que ça doit permettre de repenser nos manières d’être, nos manières de vivre et aussi sur le plan culturel. Il y a un impact qui est terrible pour tous les artistes et, heureusement le gouvernement en France vient d’accorder l’activité partielle aux intermittents du spectacle, il était temps, c’était plus que nécessaire. L’écosystème de la culture est mis à mal. Vous avez les salles de spectacles qui doivent annuler et qui doivent rembourser le public; le public peut éventuellement reporter son billet ou parfois faire un don mais les salles vont devoir rembourser donc auront des difficultés à payer les structures qui devaient employer des artistes. On voit tout un écosystème mis à mal donc j’insiste sur la question culturelle parce que dans cette sortie de crise la culture va être un point central.

La question écologique va être centrale mais l’autre question ça va être la question culturelle. Si on ne peut plus penser la croissance, la relance économique comme par le passé,  il faut aller sur d’autres terrains et le terrain culturel c’est celui qui va permettre justement une autre relance, la relance des esprits.  Mais voilà il ne faut pas être contradictoire. Emmanuel Macron a raison de dire aux gens que la culture est importante on est heureux de l’entendre dire ça mais il faut maintenant se donner les moyens et peut être réinventer aussi certaines formes culturelles. Ground Contol c’est un tiers-lieu, un tiers-lieu culturel qui réinvente d’une certaine façon aussi ce rapport entre le public, les artistes, toute une communauté. Peut-être faut-il le repenser, ce rapport, dans une intimité loin de certains immenses rassemblements, en tout cas dans un certain temps.  Le penser aussi via les médias numériques. Il y a beaucoup d’usages qui peuvent être faits en matière numérique de plus en plus pertinents et il faut féliciter tous ces médias qui diffusent de la culture actuellement parce que plus que jamais dans un contexte comme celui du Covid-19 cela va permettre à ce que des gens en bonne santé ou les gens malades, des gens qui sont dans les hôpitaux, puissent voir et apprécier des spectacles par le biais de retransmissions numériques. C’est extrêmement salutaire.

4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?

En tant que journaliste, je dirige la rédaction d’un journal culturel et je n’ai mis personne en activité partielle.
Tous les journalistes travaillent, avec beaucoup de prudence bien sûr, donc hors de question de partir en reportage, de faire évidemment comme avant, mais en tout cas j’ai tenu à ça parce que le devoir d’informer est essentiel. Pour expliquer l’impact du Covid-19 sur le secteur culturel et aussi ne pas parler que de ça.
Ainsi, pour d’autres médias comme Mediapart ou la Revue Dessinée, je travaille toujours sur d’autres sujets comme les conséquences de l’affaire Carlos Ghosn sur le mécénat ou sur l’affaire Bouvier Rybolovlev qui concerne le marché de l’art.
Ces histoires là ne doivent pas être mises à l’écart même dans ce contexte. Je pense que les lecteurs, les téléspectateurs, les auditeurs vont avoir envie d’entendre d’autres choses dans les prochaines semaines car le confinement risque d’être long. Il faut savoir jouer sur les deux tableaux, bien-sûr traiter de l’actualité et montrer aussi des aspects parfois méconnus des conséquences de la crise sanitaire et puis, de l’autre côté continuer sur d’autres sujets, les questions politiques, économiques ou sociétales, car elles sont aussi essentielles.

Voilà je crois que plus que jamais dans une période comme celle ci il y a un devoir et un droit d’informer qui est essentiel. On doit être à la hauteur du moment en tant que journalistes.

Propos recueillis le 27/03/2020.

Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …

“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.

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