4 questions pour demain avec Ninon Lagarde #démocratie

15/04/2020 | 4 questions pour demain S1, à la une, société, vidéos

Ninon LAGARDE est co Fondatrice et Directrice du mouvement Tous Elus. Elle est aussi facilitatrice en intelligence collective.

le politique est un levier de changement incroyable et un levier de pouvoir sur nos vies et notre quotidien immense

 

1. Que nous enseigne la crise actuelle ?

Elle nous questionne plus qu’elle nous enseigne pour le moment. Au moment où je parle on est à pile un mois de confinement elle nous enseigne énormément mais surtout elle ouvre un nouveau champ de réflexion maintenant qu’on a une information clé qui est que nous sommes repartis pour un mois de confinement. 

Je pense qu’elle libère d’un certain poids du regard des autres et permet de repositionner nos choix de vie dans ce qui fait notre bonheur. 

Moi personnellement, je suis en train de repenser la manière dont j’envisage les années à venir. Le confinement n’est pas forcément facile à vivre et on se raccroche à ce qui nous rend heureux.  C’est davantage ça que le regard des autres qui est important. Là-dessus personnellement moi ça me change énormément.

Ce que la crise m’apprend et nous apprend à Tous Élus, c’est ce que tout le monde a dû apprendre très rapidement, c’est que c’est bien beau d’avoir fait énormément de workshops sur les stratégies de crise,comment est-ce qu’on réagit etc Mais dans la réalité concrète, réagir à une crise c’est autre chose. A Tous Élus on est une association avec plus de 400 bénévoles mais une équipe permanente assez restreinte. J’en suis la déléguée générale et deux autres personnes travaillent avec moi. On est une petite équipe pour gérer énormément de personnes et de volontés bénévoles. Alors, ça ne se fait pas du jour au lendemain de passer de la théorie à la pratique mais c’est passionnant.

En tout cas, appliquer la stratégie de crise à une organisation bénévole c’est très intéressant. Cela nous enseigne qu’en tant qu’organisation, on a quand même une capacité d’adaptation très forte.  En fait c’est vraiment la capacité d’adaptation qui est le mot clé de cette crise et qui permet de sortir la tête de l’eau.

2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?

Pour changer les choses dans le système encore faut-il avoir le pouvoir et le pouvoir je ne suis pas sûre qu’on l’ai en fait.

A l’heure actuelle, on n’est pas en capacité de pouvoir changer les choses, d’un point de vue individuel comme d’un point de vue collectif, et notamment politique qui est mon axe de vue. Je pense que le politique est un levier de changement incroyable et un levier de pouvoir sur nos vies et notre quotidien immense, je pense aussi que le pouvoir on ne l’a pas. Et que, ce que la période est en train de changer sur le système, c’est le détricotage de nos droits sociaux et de tout ce pour quoi on s’est battu pendant de nombreuses années. Les 35 heures, le chômage, tout un tas de choses qui sont en train d’être détricotées par le gouvernement qui profite de cette crise pour défaire tout un tas de droits sociaux. Donc pour le moment, j’ai pas l’impression qu’on puisse changer quoi que ce soit.

Si en temps normal on a le pouvoir de faire changer les choses il est déjà assez restreint, il passe par manifester, signer des pétitions aller voter, faire du plaidoyer pour certains sujets, etc. 

Nous, on a gentiment créé des banderoles à nos balcons pour manifester autant que possible et diffuser des messages aux gens qui passent dans la rue. Pour le moment, moi je me sens privée d’un pouvoir de changement sur le système qui est déjà petit en temps normal et qui, là, est réduit un peu à néant.

3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?

Pour faire écho à la question précédente c’est se saisir, et je reviendrais toujours à ça_se saisir de nos droits politiques.  S’engager et se rendre compte de qui sont les acteurs qui ont une influence dans notre quotidien, notamment sur les choses qu’on souhaite faire changer, remonter au coeur des personnes, des systèmes et des choses qui ont un pouvoir d’action et s’en saisir. Prendre la place de ceux qui prennent des décisions qui ne nous conviennent pas, le tout dans un cadre démocratique, en convaincant par les idées, comme on sait le faire, avec du débat, etc. Mais il faut remonter à la racine des décisions qui nous impactent et qu’on souhaiterait faire changer en s’engageant en politique. Pour les municipales il y aura un second tour,  il faut s’engager pour faire en sorte que dans la commune dans laquelle on vit, ce soit une équipe qui porte nos valeurs qui passe. Parce que c’est six ans à venir pendant lesquels ce sont des personnes élues qui prendront tous les jours des décisions qui nous concernent et qui ont un impact sur nos vies. 

Dans une société où on est de plus en plus axés sur l’individualisme, on a tendance à mettre de côté l’impact et le pouvoir qu’ont des collectifs démocratiquement élus sur nos vies.  Mais le pouvoir se lit ici en fait, sur le niveau de mon loyer, le prix de l’eau dans ma ville _ moi j’habite à Lyon où le coût de l’eau est extrêmement élevé. C’est lié à des décisions politiques, à des hommes et des femmes que nous avons élus ou que l’on a oubliés d’aller élire parce qu’on allait à la plage, ou que l’on a souhaité ne pas élire pour des raisons, peu importe lesquelles. Ce sont eux qui prennent des décisions, qui nous gouvernent. Donc si elles ne nous conviennent pas ces décisions, si on veut changer le monde, si on veut que les choses ne soient plus comme avant, c’est en s’engageant à la racine de ce qui a un impact sur nos  vies. 

4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?

A Tous Élus, cette crise nous aura permis dans un premier temps de prendre un temps qu’on a rarement pour évaluer et voir l’impact des projets qu’on a menés ces deux dernières années.  

On a formé, accompagné, plus de 3000 jeunes à s’intéresser à la politique et à se poser la question de pourquoi est-ce qu’ils ne seraient pas élus un jour. On a accompagné 200 personnes à se porter candidat.e.s pour la première fois aux élections municipales, à se saisir du pouvoir au niveau local. Les élections municipales ont eu lieu dans les conditions qu’on connaît mais cette crise nous a permis de faire le constat de ce qui avait marché et pas marché dans nos stratégies. Nous avons fait le constat que le digital ne nous permet pas de toucher les publics éloignés de nous par exemple. Le digital et les réseaux sociaux nous permettent de toucher des personnes comme nous, ce qui est déjà génial _ on a réussi à toucher énormément de jeunes issus de grandes villes qui ressemblent aux personnes qui constituent Tous Elus, donc qui majoritairement me ressemblent et ressemblent aux autres cofondateurs de l’association. 

Ce qu’on a appris, c’est qu’en fait c’est seulement en étant présents auprès des associations qui font du travail sur le terrain au niveau local, qu’il est possible de toucher des cibles éloignées. Car on souhaite toucher les plus éloignés de la démocratie, ceux qui sont dans les quartiers, en politique de la ville. Donc ca nous a permis de redresser un peu notre stratégie et de se dire que de septembre à décembre prochain on allait lancer un grand tour de France des quartiers pour aller à la rencontre des jeunes qui sont le plus éloignés de la démocratie pour parler politique et démocratie de manière crue, de manière franche. Pourquoi est-ce que ce ne serait pas eux qui prendraient le pouvoir  ? Si on ne les voit pas dans les conseils municipaux, si on n’a pas un seul ouvrier à l’Assemblée Nationale, si la représentation sociologique de nos élus ne nous correspond pas,  peut-être que c’est aux publics qui n’y sont pas représentés de s’engager. Et à nous de les y aider. 

Propos recueillis le 14/04/2020.

Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …

“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.

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