4 questions pour demain avec Guillaume CAPELLE #liensocial
“J’ai vu des milliers de personnes se réinventer, recommencer une vie, pas forcément normale, mais en tout cas continuer une carrière, démarrer une entreprise, créer une association, contribuer à réinventer un monde meilleur.”
1. Que vous enseigne la crise actuelle ?
J’ai l’impression qu’en ce moment surtout je n’en suis pas au point de digérer tout ce qui se passe, je suis plutôt dans l’expérience. J’ai discuté avec ma grand mère de 83 ans l’autre jour, qui me disait “on a on n’a jamais vécu ça”. Quelqu’un de 80 ans, qui a vécu la guerre, qui te dit ça c’est quand même un peu spécial. Tous au même moment, partout dans le monde, on vit quelque chose en commun, donc je me sens déjà un peu connecté.
L’autre enseignement que j’en tire c’est que la nature est largement plus forte que l’humain. Il est grand temps qu’on comprenne que notre place est dans la nature mais qu’on n’est pas plus fort que qui que ce soit. Ca me fait penser aux dinosaures. Alors c’est peut-être parce que je passe beaucoup de temps avec mon fils, mais bon voilà je me dis que c’est une espèce qui a disparu et que ce serait bien qu’on s’organise pour que ce ne soit pas nous dans 100 ans.
J’ai lu un super article du pdg d’IDO qui disait que ce n’était pas le moment d’essayer de comprendre, mais plus le moment de plonger dans l’eau et d’aider tous les autres à construire un barrage. En ce moment je ne suis donc pas vraiment dans ce que j’ai appris mais plutôt dans agir et vivre ce moment.
2. Qu’est-ce que la crise actuelle peut permettre de faire changer dans notre système ?
J’espère qu’elle va nous permettre de développer trois nouvelles choses.
C’est d’abord une meilleure capacité de résilience. J’observe depuis huit ans comment des gens se réinventent après avoir vécu des choses terribles, être partis d’endroits où il y avait des conflits, avoir vécu des persécutions. Et j’ai vu des milliers de personnes se réinventer, recommencer une vie, pas forcément normale, mais en tout cas continuer une carrière, démarrer une entreprise, créer une association, contribuer à réinventer un monde meilleur.
Et, là on a vu notre système de santé vachement fragile quand cette crise est arrivée et je pense que l’on a besoin de développer la résilience. Une anticipation à ce type de crises et une meilleure capacité à les gérer.
On a besoin aussi de développer l’inclusion. On a vu, pendant cette crise, que la majorité des personnes vulnérables étaient encore plus en danger que d’habitude. Donc on a besoin de recréer du lien dans nos sociétés et en particulier avec les personnes âgées.
On travaille nous énormément avec des associations comme Emmaüs et Aurore et l’on a vu aussi des personnes sans abri être dans des situations terribles en ce moment.
Il faut maintenant que quand on crée des produits ou des services, on anticipe l’impact qu’ils vont avoir sur les populations vulnérables. C’est bien d’être “customer driven”, de créer des produits que les gens veulent acheter mais, il faut aussi être “impact driven” et s’assurer que cela ne va pas avoir un impact désastreux.
Il faut aussi que l’on soit beaucoup plus créatif dans nos sociétés. Avec cette crise on voit bien que les gens ont envie de changer mais ont beaucoup de mal à penser en dehors des cases qu’ils connaissent. Ils n’ont pas du tout de méthodologie ou de technique pour inventer des choses nouvelles. Tout ceux que j’entends s’exprimer en ce moment nous disent “je vous l’avais dit” ou “j’avais raison” ou “il faut faire comme si, il faut faire comme ça”. On comprend qu’il faut changer mais on ne voit pas comment faire. Il faut que l’on ait beaucoup plus de méthodologies, qu’on apprenne beaucoup plus de choses pour faire le “comment”. Ca passe, de mon point de vue, par l’apprentissage de techniques comme la communication non violente, plutôt que d’avoir des débats sans fin avec des gens qui s’écharpent. C’est d’avoir des méthodes de design et donc toutes les méthodes où l’on va sur le terrain à la rencontre des gens qui sont différents de nous, pour les écouter. C’est avoir des espaces comme ça.
J’espère que ces trois choses là, on va pouvoir les développer dans les mois et les années qui viennent.
3. Comment préparer le retour à la “normale” afin que ce ne soit plus comme avant ?
Il faut qu’on fasse chacun des choix. Alors évidemment j’espère qu’ a un niveau politique, à un niveau décisionnaire, il ya des choses qui vont bouger en profondeur, mais, je pense que la seule manière de vraiment transformer les choses, c’est que chacun d’entre nous fasse des choix au niveau de sa consommation. Les prochaines chaussures que l’on va acheter, ce qu’on va aller manger etc. C’est essentiel de se dire ça parce que si l’on sort du confinement et que l’on repart à faire exactement les mêmes achats et que l’on adopte exactement les mêmes comportements, on n’aura strictement rien changé.
Et je pense que les entreprises et les sociétés vont suivre des mouvements citoyens. Elles vont suivre les consommateurs. Notre responsabilité est beaucoup plus diffuse qu’on imagine. Ce sont ces questions là et ces choix là qui vont être vraiment cruciaux.
A l’échelle de mon organisation, on entend beaucoup parler des réfugiés et des migrants dans les médias, on a énormément de stéréotypes mais finalement il est rare qu’on se rencontre dans la vie réelle et dans des bonnes conditions. Notre métier est de faire ça, de créer des plateformes, des espaces dans lesquels on va se croiser. Soit se croiser pour partager quelque chose qu’on aime _ c’est ce qu’on appelle banding, c’est le lien entre centres d’intérêts communs peu importe si l’on vient d’Afghanistan ou de France, on aime le foot donc du coup on va pouvoir faire quelque chose autour de ça _ et puis, il y a des expériences qui reposent sur des objectifs communs, trouver des solutions pour la santé, pour l’environnement, par exemple et le faire ensemble. On a lancé une initiative qui s’appelle Allo Mondo. C’est un centre d’appels qui permet à des Français et à des immigrés de se téléphoner pour discuter de l’avenir et en particulier de trouver des solutions communes, concrètes, à promouvoir en commun. C’est chouette parce que non seulement ça crée du lien, ça permet d’avoir une vision du monde différente de la sienne et en plus ça oblige à trouver une solution commune et construire un nouveau monde dans lequel on prend en compte la diversité. Un monde avec tous ceux qui y vivent et pas juste une catégorie de personnes.
4. Qu’allez-vous faire, vous, à votre échelle ?
Je me fais des listes pour transformer vraiment ma consommation. Je suis beaucoup là-dedans en fait, je vois vraiment l’impact de ce que l’on achète, la manière dont les choses sont produites, dont elles sont livrées, quel marketing est utilisé pour ces différents produits et du coup quel impact négatif ça peut avoir sur les gens.
Moi j’ai décidé de m’habiller à certains endroits, j’ai décidé d’acheter à manger certaines choses par exemple. Je fais aussi l’expérience de tous les produits et les services concrets imaginés par Singa. Ce serait fou de les promouvoir sans en faire l’expérience moi-même. Donc c’est ça aussi que je vais faire. Je vais téléphoner à des gens qui viennent de partout dans le monde et je vais me confronter sans doute à des opinions que je trouve génialissimes et des opinions que je trouve complètement débiles. C’est bien de savoir qu’il y a des gens qui pensent comme ça.
Ensuite à l’échelle de l’organisation Singa, c’est d’abord une communauté mondiale de citoyens dans une dizaine de pays qui se rencontrent en permanence. On a aujourd’hui tout digitalisé et je vois que les gens sont davantage centrés plutôt sur de l’action citoyenne. Par exemple comment les médias devraient parler de la migration, comment on peut faire des masques etc. Je ne sais pas si c’est uniquement pendant le confinement mais je sens que notre communauté s’est recentrée sur des choses citoyennes plutôt que sur simplement de l’événementiel. Du coup, notre objectif c’est d’outiller les gens dans la communauté pour qu’ils puissent atteindre leurs objectifs, que ce soit pour fabriquer des masques ou réécrire la convention de Genève.
La deuxième chose c’est qu’on accompagne des entrepreneurs, plus de 300 start up par an. Jusqu’à aujourd’hui nos critères ont beaucoup été sur les start-up “powered by” migration, donc alimentées par la migration, donc peu importe quelle était l’innovation qui sortait. Maintenant on a envie d’avoir de plus en plus de critères. Au départ on était uniquement sur l’inclusion et là je vois bien en fait qu’on rajoute aussi des dimensions environnementales.
Un conseil
Explorez le monde mais près de chez vous. Arrêtons d’aller littéralement à l’autre bout du monde pour voir juste des paysages et faire une photo instagram. Le monde est déjà dans nos villes et il n’attend qu’une chose c’est qu’on vienne à sa rencontre. Donc voilà allez sur Singa ou téléphoner avec Allô Mondo, moi je trouve que c’est déjà un super pas vers le monde de demain.
Propos recueillis le 27/04/2020.
Culture, économie, philosophie, spiritualité, sciences, politique …
“4 questions pour demain” interroge des personnalités d’horizons différents pour nous aider à mieux comprendre aujourd’hui et à préparer l’avenir.
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