4 questions pour demain avec Bris ROCHER #entrepreneuriat

25/05/2020 | 4 questions pour demain S2, planète, société, vidéos

En décembre 2019, Yves Rocher est devenu le 1er groupe international à adopter le statut d’Entreprise à Mission, c’est à dire à intégrer dans ses statuts les dimensions sociales et environnementales et non uniquement financière. Bris Rocher, 42 ans, pdg du Groupe fondé par son grand père en 1959 répond à nos questions pour le 1er épisode de 4 questions pour demain Saison 2.

“Pour moi une entreprise à mission c’est une entreprise qui conjugue la performance économique et la prise en compte du bien commun.”

 

1. Qu’avez-vous fait de totalement inédit durant cette période que vous n’auriez pas osé faire autrement ?

En fait, on a été capable de faire des trucs en très peu de jours alors qu’il nous aurait fallu des mois en temps normal. Je me souviens encore il y a un an avoir des débats avec mes managers sur le flex office, le télétravail etc et, on se disait que peut-être qu’on y viendrait et que ça ne plairait pas forcément à tout le monde. Là ce que je suis en train de me dire c’est qu’en réalité il risque d’y avoir une demande naturelle donc c’est même plus tant savoir s’il faut y aller ou pas, de toute façon je suis sûr qu’on va avoir des collaborateurs qui vont nous dire nous ça nous plaît de travailler comme ça. Mais il ya un an, on était parti pour se dire, on va lancer ce truc là, cela va nous prendre 12 à 18 mois, alors que là, on a fait ça en trois jours. Et puis les équipes Petit Bateau qui se sont mises en quatre jours à coudre des masques pour les délivrer à l’Agence Régionale de Santé. Je pense que très honnêtement en temps normal, ça nous aurait pris des mois. Pareil pour le gel hydro alcoolique avec les équipes Rocher etc 

La boîte américaine que l’on a racheté il y a deux ans c’est du social selling, une sorte de e-commerce humanisé, tout ça se passe sur les réseaux sociaux mais avec des consultantes indépendantes qui se font le relais de la marque et qui sont en fait les intermédiaires entre la marque et le client final. Evidemment c’est une très très grosse 

communauté, on parle de plus de 500 milles consultantes indépendantes. Chaque année, on réunit à peu près vingt mille personnes. On fait ça à Las Vegas parce que c’est le seul endroit où il ya une capacité hôtelière qui peut abriter autant de personnes. Ça se passe sur trois quatre jours avec deux objectifs principaux, le premier est un travail de développement de personnel pour faire grandir tout le monde et puis le deuxième c’est quand même aussi la vente, ce sont des vrais entrepreneurs évidemment. Là dans le contexte (avant le confinement) c’était juste impensable de réunir entre 15 et 20 000 personnes au même endroit. Il y avait donc trois possibilités : le faire, mais impensable à l’époque, ne pas le faire du tout mais avec un gros risque pour le business parce que ce moment représente un volume important des ventes et puis le faire de manière virtuelle. 

On est évidemment arrivés sur la troisième solution. Je me suis dit que ça allait limiter la casse mais que l’on aurait forcément un contre impact parce qu’elles ne sont pas réunies physiquement et que plutôt que de le faire sur quatre jours on allait le faire sur une journée et demie seulement. 

En temps normal, je n’aurais jamais pris une décision comme celle là, trop risquée, beaucoup trop risquée. Le résultat c’est qu’en fait on a fait plus de ventes que l’année dernière, je n’aurais jamais parié dessus.  En plus de ça, ça a coûté moins cher parce que ce n’était pas en présentiel. En outre, ça nous a permis d’augmenter la notoriété parce que les consultantes indépendantes se sont mis à poster sur les réseaux sociaux, chose qu’elles ne font pas habituellement en présentiel parce qu’elles n’ont pas le temps tout simplement. Donc cela a été bénéfique pour l’activité, bénéfique pour les économies, bénéfique pour la notoriété et by the way bénéfique pour la planète !  Parce que faire venir tout ce petit monde réparti aux quatre coins du monde c’était lourd en impact CO2.

Donc en fait, tout ça est hyper vertueux.  Entendons-nous bien, je me passerais bien de cette crise mais, en même temps, je vois que l’on est capable de tester des choses, de nouvelles initiatives, que l’on ne ferait pas habituellement et qui payent. Tant mieux ! Je prends !

2. Quels changements avez-vous observés et qui pourraient s’installer durablement ?

En fait je pense que ça va amener des changements structurels parce qu’on va devoir vivre avec ce virus pendant des mois et peut-être même une bonne année voire plus. Le retour à la normale ne va pas être possible. C’est vrai que l’on se passerait bien de ce virus parce que c’est quand même un drame d’un point de vue humain mais en même temps ça va nous obliger concrètement à changer. Par exemple sur le télétravail, le flex office etc.

La réalité c’est que l’on va rester comme ça. On sera à la fois dispersé et plus connecté.

Si je prends un groupe comme le mien où l’on est présent mondialement, je suis en train de m’apercevoir que l’on est capable de faire tourner la boutique sans voyager. Ce que j’ai dit à mon comex c’est que le budget voyage de l’année 2021 représentera la moitié du budget 2019. On va voyager deux fois moins, donc cela va permettre de faire à la fois des économies pour la boîte mais aussi pour la planète. Et ça c’est positif. Alors évidemment qu’il faut du présentiel, c’est important de voir les équipes mais peut-être pas autant qu’avant.  Donc je pense quand même concrètement qu’il va y avoir des changements structurels et on va prendre l’habitude et du coup on ne reviendra peut-être pas au monde d’avant. Et ça c’est plutôt positif. Je l’espère en tout cas.

3. Quelles solutions concrètes selon vous pour accélérer la transition écologique et sociale ?

Si je prends le sujet des entreprises à mission, on a eu la loi pacte l’année dernière. Bon je trouve que c’est une bonne initiative parce que ça oblige les entreprises à se poser des questions. Dans la loi pacte il y a trois dispositifs. Il y a l’objet social élargi qui s’impose à toutes les sociétés qui jusqu’à présent n’étaient que focalisées sur la performance économique et dans laquelle maintenant on doit intégrer le social et l’environnemental. Il ya la raison d’être de l’entreprise, l’entreprise doit déterminer sa raison d’être. Et puis il y a le statut de société à mission qui consiste à mettre en place une gouvernance spécifique et à définir des objectifs mesurables dans le temps pour donner du corps à la raison d’être. 

En début d’année j’ai vu beaucoup de boîtes s’activer, parce qu’on était à la veille des assemblées générales, pour présenter une raison d’être à l’assemblée générale. En fait, je 

trouvais ça assez triste parce que j’ai vraiment eu le sentiment qu’on était en train de confondre vitesse et précipitation. J’ai vu des raisons d’être apparaître sur les réseaux sociaux de certaines boîtes et je me disais qu’elles auraient pu être sur papier à en tête de leur principal concurrent que cela reviendrait au même.  Je n’y voyais pas de spécificité propre à la boîte en question et c’était le meilleur moyen de se prendre le retour de bâton, d’être taxé d’imposteur.

Sur le sujet de la loi pacte, il faut vraiment aller au bout du dispositif, c’est à dire bien évidemment déterminer sa raison d’être mais il faut aller jusqu’au statut d’entreprise à mission. C’est à dire mettre en place la gouvernance spécifique qui va mesurer l’état d’avancement de la société au regard des objectifs qu’elle s’est fixés. Et tout ça doit être certifié par un organisme tiers indépendant. Si l’on ne va pas jusque là, si l’on ne fait que définir la raison d’être, ce ne sera qu’un slogan sur un mur. Pour moi une entreprise à mission c’est une entreprise qui conjugue la performance économique et la prise en compte du bien commun. Donc le risque c’est de mettre de côté justement la prise en compte du bien commun et je pense qu’il va falloir collectivement qu’on se pousse à dénoncer ce risque. 

Il faut absolument qu’on intègre cette dimension et peut-être que le meilleur moyen de le faire, c’est en prenant des exemples sur ce que ça apporte vis à vis de la performance économique. Aux États Unis, les marques de beauté qui s’en sortent le mieux sont celles qui sont allées sur la clean beauty. Je veux dire qu’une entreprise a mission ce n’est que répondre aux attentes du consommateur, c’est ce que veut le consommateur donc il faut pousser ce discours pour faire en sorte qu’il y ai un maximum de sociétés qui aillent dans ce sens parce que le risque c’est justement de mettre ça de côté. Et la réalité c’est qu’on le  paiera plus tard. Les sociétés le paieront plus tard, donc ne pas le faire c’est juste probablement dévaloriser sa société et sa marque peut-être pas tout de suite peut-être pas dans six mois dans 12 mois dans 18 mois mais dans cinq à dix ans c’est sûr. 

4. À votre échelle individuelle, qu’allez-vous faire ?

On va continuer même si on va prendre un an de retard ça c’est sûr.

Ce que j’aime c’est distinguer deux types d’objectifs par rapport à la mission de la boîte. La mission c’est de reconnecter les femmes et les hommes à la nature. J’aime distinguer l’objectif singulier qui va  donner du corps à cette mission et puis l’objectif que je qualifierais  de must have qui est un objectif un peu générique mais qui finalement est un objectif pour toutes les entreprises et donc qui donne moins de corps à la mission de la boîte mais il faut le faire sinon on va être taxé de purpose washing. 

Pour donner un exemple, nous un des objectifs singuliers, c’est de planter des  arbres mais on plante pas des arbres pour compenser nos émissions de gaz à effet de serre c’est justement pour donner du corps à la mission qui consiste à reconnecter les femmes et les hommes à la nature.  Donc quand on plante des arbres on le fait avec nos communautés  que ce soit nos clients, nos collaborateurs, nos fournisseurs, nos partenaires franchisés, les ONG qui nous accompagnent, les agriculteurs etc.  Et on se retrouve par paquets de centaines, pendant une journée, on va pouvoir planter 1600 arbustes.

Ca prend la journée, ça prend du temps de planter, ça se fait pas comme ça en claquant des doigts mais on le fait tous ensemble, on se reconnecte à nous mêmes, on se reconnecte aux autres, on se reconnecte à la nature et du coup ça sensibilise tout le monde et ça donne l’envie à tout le monde d’agir en faveur de la planète. C’est positif parce que c’est un mouvement qui se crée.  Ensuite il y a planter et planter 

En Turquie, ils ont planté une quinzaine de millions d’arbres il ya trois ans. Pas un n’a survécu donc il y a vraiment planter et planter. Et j’entends tellement de gens aujourd’hui dire ah bah tiens on va planter un milliard d’arbres etc  La première chose est de commencer déjà par en planter mille et puis après on en reparlera. 

Comme je le disais, planter des arbres ce n’est pas pour compenser les émissions de gaz à effet de serre, c’est plutôt pour créer un mouvement, pour reconnecter les gens à la nature, parce que ça fait du bien à chaque personne, ça a un impact positif sur le bien-être des personnes. 

Mais si ça ne compense pas les émissions de gaz à effet de serre, cela veut dire aussi qu’il faut se fixer un objectif must have sur les émissions de gaz à effet de serre. Typiquement, nous on s’est inscrit dans le cadre de l’ONU qui dit que d’ici 2030 il  faut baisser de moitié nos émissions de gaz à effet de serre. 

Donc, on va faire les deux, on va continuer à planter des  arbres, on en a planté 100 millions en 15 ans, et puis par ailleurs on va aussi travailler à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. 

Typiquement cette année, on aura notre plateforme logistique centralisée qui dessert l’export et les magasins européens qui va être carbone neutre à la fin de l’année. En 2025, c’est l’ensemble des sites industriels de notre village de La Gacilly qui sera carbone neutre. En 2030, l’ensemble des sites industriels bretons etc .

Et donc on va travailler sur les deux tableaux et ce qui est sûr c’est qu’on va très clairement continuer à s’investir. 

Moi mon objectif est que 100 % du groupe d’ici 2030 voire avant soit BCorp et ai cette certification. Je pourrais mettre ça de côté parce que là aujourd’hui on n’a pas de chiffre d’affaire,  mais non on a dit qu’on y allait quand même. 

On va avancer. A notre rythme. L’important c’est d’avancer, même petit il faut commencer à avancer. C’est à dire qu’aujourd’hui, on dit on a planté 100 millions d’arbres, mais la réalité c’est que c’est une démarche qu’on a initiée, enfin que mon oncle a initiée, en 2006 après avoir rencontré Wangari Maathai en Afrique. Il est  revenu à  Paris et il a dit les gars on va planter des arbres ! Tout le monde l’a pris pour un cinglé. Il a commencé à en planter 100 milles puis à nouveau 100 milles et il a fini par atteindre son objectif du million. Et puis après on est passé à 15 et puis 100.  Ce qui est important c’est d’initier quelque chose tout de suite et de s’y tenir dans la durée. En faisant ça à la fin vous arrivez à un résultat significatif, un peu comme le nôtre. Ca nous a pris 15 ans mais voilà tant mieux et je pense que c’est la bonne méthode. Il faut commencer petit et s’inscrire dans la durée. On prend un sujet et ce sujet là on le tient dans la durée. Ca prendra 10, 15, 20 ans, peu importe, mais à la fin ça paiera. 

Propos recueillis le 30/04/2020.

Entreprise familiale détenue à 97% par la famille et non cotée en bourse, Yves Rocher emploie près de 18 000 personnes dans le monde avec 10 marques différentes. Le Groupe conserve 55 hectares de champs en agriculture bio sur son site historique La Gacilly où sont cultivées les plantes médicinales emblématiques de l’entreprise ainsi qu’un jardin botanique regroupant plus de 1100 espèces de végétaux. Il s’appuie en outre sur environ 400 « jardins partenaires » dans le monde. En 1991, a été créé la Fondation Yves Rocher pour la protection de la nature.

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